Je n’ai jamais aimé les crucifix
24 mars 2021
Alors que je m’étais assis depuis quelques instants sur un banc au fond d’une église pour trouver un temps de paix, voilà que j’entends derrière moi une voix d’enfant qui dit à l’adulte qui le tenait par la main : « C’est qui ce monsieur ? Et pourquoi on lui a fait çà ? » Moi qui n’ai jamais aimé les crucifix (à part de très belles figures de Christs romans) et les représentations sanguinolentes de Jésus en croix, j’ai été interpellé par la question du gamin qui me poursuit depuis quelques jours et à travers ces lignes et j’aurais volontiers tenté d’écrire à plusieurs mains une réponse, mais comme je suis seul devant mon cahier de notes personnelles, je décide dans ce billet d’imaginer une réponse. Peut-être aurez-vous envie de la compléter en m’écrivant sur psaumes.insolites@orange.fr , je publierai volontiers ce que ces questions si simples vous inspirent !
« C’est qui ce monsieur ? » Un supplicié transpercé de clous – un Ouighour torturé, un Rohingya discriminé, un Tigréen chassé de son pays, un juif découvrant une croix gammée sur la tombe de sa mère, une lycéenne nigériane enlevée par Boko Haram, une famille arménienne expulsée de sa terre ancestrale, une femme battue par celui qu’elle croyait aimer, un collégien mis à l’écart pour sa couleur de peau, un moine de Tibhérine assassiné, un mourant abandonné des siens, une jeune professionnelle harcelée par son manager, une enfant victime d’inceste, un mal-aimé oublié de tous, un migrant traité moins bien qu’un animal – et la liste de celles et ceux que je vois sur cette croix de bois est longue encore. J’aimerais y inscrire leurs noms pour l’éternité.
Cet homme est crucifié pour sa liberté de parole, Dieu transpercé par la violence humaine, son prénom est celui de tout souffrant : Jésus de Nazareth dont les larmes de sang se mêlent avec toutes les larmes de la terre. Je sais aussi que ses bras ouverts invitent à l’espérance et au pardon, que sa réponse à la haine est un acte d’amour. Je sais que le grain doit mourir pour qu’il y ait moisson.
Je sais tout cela avec la tête, mais ce gamin m’a fait comprendre avec le cœur que le Christ, rejoignant tout être dans sa souffrance, crée un espoir fou en une humanité relevée, ressuscitée, éternellement bienveillante et capable de justice. Toute blessure du corps et de l’âme sera guérie.
« C’est qui ce monsieur ? »
Je ne peux m’empêcher de vous citer l’un des textes fondateurs de ma foi, répondant avec beaucoup de sagesse à l’interrogation de l’enfant. Je relis ce chapitre 2 de l’épître de Paul aux Philippiens comme une des plus belles méditations du Nouveau Testament :
Frères, s’il est vrai que, dans le Christ, on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage avec amour, si l’on est en communion dans l’Esprit, si l’on a de la tendresse et de la compassion, alors, pour que ma joie soit complète, ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments ; recherchez l’unité. Ne soyez jamais intrigants ni vaniteux, mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres.Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus : ayant la condition de Dieu, il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père.
Et pourquoi on lui a fait çà ?
Je ne sais pas répondre à cette question, je comprends que toute violence nait d’une peur et que la peur est contraire à l’amour. Je ne sais pas non plus ce qui anime celui qui tue, viole, torture et réduit à rien un être dont le cœur était plein de projets et d’espoirs. J’entends que le bourreau est lui aussi un être meurtri, ce qui n’excuse rien. Cela nous renvoie à nos souffrances et violences intérieures et à notre désir d’apaisement.
Je découvre que la bonté et la beauté prennent toujours le dessus. Elles m’invitent à dire pardon pour toutes les souffrances du monde. Mais je ne sais pas dire pourquoi on lui a fait çà !
Dans la continuité de cette réflexion, j’ouvre une fois encore Psaumes Insolites pour un temps d’apaisement et vous partage le texte que j’ai appelé « Vendredi Saint », adaptation du Psaume 22 :
« Mon Dieu, ô mon Dieu,Pourquoi m’as-tu abandonné ? » *Tu es parti sans me secourir,Tu as détourné ton regard de celui qui t’aime.Je t’ai supplié dans ma prièreD’éloigner de moi cette épreuve,J’espérais une lumière,Me voilà plongé dans la nuit de l’âme.Toi, pourtant, tu es vivant, j’en suis témoin,J’ai lu tes signes dans l’histoire des hommes,J’ai cru en ta Parole,Tu habites le cœur de l’homme.Nos parents ont mis en toi leur espoir,Ils te louaient et tu leur donnais la foi,Ils te priaient et tu les entendais,Tu répondais à leurs demandes.Ma tristesse m’a enlevé tout visage humain,J’ai porté ta parole, elle n’a pas été entendue !Les autres se moquent, ils disent :« Il comptait sur le Seigneur,Qu’il le sauve puisqu’il est son ami ! »**C’est toi qui m’as choisi dès le sein de ma mère,Et m’as mis en sécurité dans les bras de mon père,Alors que j’étais encore enfant, j’étais à toi,Avant même de parler je connaissais ton nom.Viens, mon Dieu, la peur me paralyse,Seul pour supporter la souffrance,Je n’ai personne pour choisir à ma place,Je suis à un carrefour de vie,Et je ne sais quel chemin prendre.L’un et l’autre indiquent “amour ”,Chemin de vie ou chemin de mort ?Des pensées contradictoires me cernent,Mon Dieu, je suis écartelé.Je ne sais plus où j’en suis,Même mon corps m’abandonne,Et mon âme est meurtrie,Mon esprit est vidé de sa force,Je n’ai plus de mot.Même mes proches me pressent,Ceux qui étaient mes amis m’entourent,Par leurs paroles ils m’attachent,Ils veulent décider à ma place.Mes mains et mes pieds sont liés,Ma langue est collée à mon palais,Ils ont partagé mon vêtement liturgique,Est-ce ainsi que tu m’emmènes à la mort ?Vois les gens qui me regardent,Ils me jugent,Comment puis-je être un traîtreSi j’ai choisi ta parole ?Ô mon Dieu, viens à mon aide,Préserve ma vie d’un faux pas,Donne-moi un regard clair,Sauve-moi car je suis ton ami.Au fond de moi, je découvre une grâce,Une sagesse qui envahit toute mon âme,J’espérais en vain ton regard,Aujourd’hui tu es là, j’en suis sûr.Tu as répondu à mon appelEt m’as suivi sur mon chemin,Je ferai de ma vie une louange,Debout, je porterai un témoignage.La terre et tout être vivant se souviendront de ces jours,Tous ils entonneront un chant de joie,Ils se tourneront vers le Dieu de vieEt inaugureront un temps de justice et de paix.