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la connexion et la présence

3 mars 2021

Je me souviens d’un coin de brousse au fin fond du Sénégal, à quelques kilomètres des frontières de la Guinée et du Mali. C’était un petit village d’une cinquantaine d’habitants nommé Bandafassi. Six ou sept familles vivaient là, au pied d’une colline, avec des coutumes, des rituels et des religions différentes : Les Bediks, de tradition animiste, cultivateurs et artisans, invoquent la nature, le Dieu des forêts et des pierres sacrées. Les Peuls, éleveurs, sont musulmans depuis des générations et pratiquent depuis longtemps un islam ouvert, familial, spirituel. Un vieil imam était consulté régulièrement par n’importe quel habitant du village. Une des familles bedik s’était convertie au catholicisme, la mère, le père et les quatre enfants avaient été baptisés quelques mois auparavant au milieu de cette communauté villageoise hétéroclite. Ils avaient rencontré des chrétiens lors d’un séjour à la ville voisine et avaient été marqués par leur manière de vivre le pardon.

Quelques jours après la fête du baptême, l’imam a invité tout le village autour de la case au toit de paille qui tenait lieu de mosquée. Il y a mené la prière du soir en arabe, invoquant le nom d’Allah. Il nous a dit ensuite qu’il fallait partager la joie de ce qui se passait dans le village et remercier le ciel de l’entente qui permettait à tous de vivre dans la paix. Les familles peules se sont mises à incanter une prière, puis les bediks ont chanté au rythme des tam-tams et des flûtes et la famille des nouveaux baptisés a murmuré dans un silence la prière du Notre Père dans sa langue maternelle.

Sous la voûte céleste, j’ai eu le sentiment ce soir-là de découvrir pour la première fois ce que pouvait être une prière authentique, même dans des langages inconnus de moi. Nous étions juste ensemble entre terre et ciel en présence de l’Invisible Tout ! Nous étions en connexion avec la terre, les uns avec les autres, en communion de corps et d’âmes, bien que différents, appelant sur nous cette présence invisible, cette force créatrice, ce Dieu qui ne peut être qu’Amour.

Nos frères musulmans ont deux mots pour exprimer le mot prière : « Salat » qui veut dire connexion, jonction et « hadra » qui veut dire présence, dans le sens d’un mouvement de l’extérieur vers l’intérieur de soi pour rencontrer l’ essentiel ou l’Essence-ciel. C’est ce même mouvement que font les pèlerins quand ils vont à la Mecque, tournant serrés les uns contre les autres comme dans un tourbillon pour approcher la pierre noire de la kaaba et se retrouver enfin seuls au milieu de cette foule pour rendre un hommage au Clément, au Miséricordieux, comme il est dit dans les premières lignes du Coran.

J’ai gardé tout au long de ma quête spirituelle ces deux mots là, connexion et présence, qui plus que des mots sont des sentiments, une expérience mêlant l’incarnation et l’élévation, le recentrage sur soi et la communion. Tous les exercices de méditations invitent juste à cela et je sais maintenant que je ne peux rejoindre le divin sans être présent à moi-même, avec mon corps. La prière est alors un travail de fond qui transforme et répare, un mouvement qui va de l’émotion à l’amour, à condition d’accepter d’y être exposé tout entier, en ombres et lumières, comme un être de faiblesse capable aussi du meilleur, être spirituel avec les pieds ancrés dans la glaise.

Quand je dis un psaume pour toi,
Je suis bien à ma place mon Dieu,
Une musique vient de mon âme,
Je suis debout devant toi.
 
La cithare devance mes paroles,
Je suis prêt à éveiller l’aurore !
 
Je te louerai parmi les peuples
Et dans tous les pays je chanterai un hymne.
Ton amour est plus vaste que le ciel,
Et ta lumière transperce les nuages.
 
Dieu, depuis ton ciel, parle à la terre !
Hommes et femmes attendent un signe
Et les enfants s’émerveillent déjà,
Que tes bien-aimés se sentent libres !
 
Au plus profond de mon âme, Dieu a parlé :
“Mon bonheur, c’est le partage avec tous,
Je n’ai pas de peuple préféré,
Partout je suis chez moi, ma parole est pour tous !
 
A moi les montagnes car elles touchent le ciel,
A moi les vallées où s’écoulent mes sources !
Dans les lieux les plus sombres de la terre
Et les déserts du monde, je suis là,
Et sur toute âme blessée, je me penche.”
 
Tu me conduiras jusqu’à Jérusalem
Où tous les peuples se rassemblent.
Chacun parle en sa langue, mais tu es l’unique !
Chacun construit son temple,
Mais toi, tu habites les âmes !
 
Sois présent, Dieu, dans nos épreuves,
Avec toi nous ferons des merveilles,
Nous dirons à tous les peuples ton amour
Car chaque être pour toi est un trésor !

Psaumes insolites : Dieu de tous - d’après le psaume 108 (107)