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La terre en carême

15 mars 2021

Carême et préparation de Pessah en mars, célébration de Pâques, entrée en Ramadan et fête de l’illumination de Bouddha en avril, les croyants rentrent dans un temps de méditation, de réflexion et de partage. C’est le temps de la prière et de la transformation intérieure, du renoncement et de la quête du bonheur. Certains choisissent de se priver pour se recentrer sur l’essentiel, d’autres se questionnent sur le sens de l’amour et du pardon, de la mort et de la vie. Ce temps de printemps est pour les croyants un temps d’élévation spirituelle, à l’image de la nature qui s’éveille. C’est bien et bon, le monde ne peut que s’en porter mieux !

Mais à observer la terre, il semble que la nature soit en carême forcé depuis des décennies, privée de beaucoup de ses ressources, fatiguée des ponctions et des violences des hommes à son encontre. Déjà en 2002, l’auteure du livre « Le dieu des petits riens », Arundhati Roy, disait de manière cynique mais au combien prophétique dans une conférence internationale de journalistes à Santa Fe : « …..Pendant ce temps, au centre commercial du village mondial, les soldes de mi-saison battent leur plein. Tout est bradé – océans, rivières, pétrole, patrimoines génétiques, blastophages, fleurs, enfances, usines d’aluminium, compagnies de téléphone, sagesse, déserts, droits civiques, écosystèmes, air – 4,6 milliards d’années d’évolution. Emballées, scellées, mises en rayon. Quant à la justice, il parait qu’elle aussi est à vendre. Rapport qualité-prix imbattable ! » (Extrait de Mon cœur séditieux. Editions Gallimard)

Si la création elle-même est devenue marchandise, quelle action mener contre cette violence qui par ricochet touche en premier les femmes, les enfants et les faibles de la terre ? Quel est le poids de notre démarche spirituelle en face d’une montagne à déplacer ? C’est pour moi la question de cette Pâque 2021, car la Pâque est un passage, l’appel à une transformation profonde, à un choix libre d’abandonner les forces de mort au profit des forces de vie. Notre privation quelle qu’elle soit n’est rien au regard de ce dont est privée la nature et les êtres en souffrance. Mais la motivation de seulement quelques-uns à faire grandir en eux la paix intérieure a une influence considérable sur leurs proches et le monde qui les entoure. Plus qu’un acte à poser, c’est une transformation à accomplir en soi-même pour passer de la colère à la patience, de la peur à l’amour, de la tristesse à l’espérance. La paix du monde et la respiration de la nature sont au prix de cette Pâque intérieure.

Les violences faites aux femmes, les abus de toutes sortes commis par des hommes de pouvoir, le harcèlement, la guerre ne sont que le fruit de colères humaines devenues incontrôlables. Toute colère, même passagère engendre un sentiment de haine et de violence contre soi ou contre les autres. C’est cette colère là qu’il nous faut guérir en nous dans une démarche humaine et spirituelle de carême et c’est ce chemin que je propose de prendre pour que le monde aille mieux. Et au bout de cette transformation, c’est bien l’harmonie retrouvée avec la nature que je veux fêter, et la joie d’une âme en paix avec mon Dieu, au-delà de toute souffrance, pour l’amour des autres.

Je vous propose alors pour conclure ce billet une adaptation du psaume 76 que j’ai appelé « Espoir de paix », extrait de « Psaumes Insolites ».

Tu t’es fait connaître en Judée,
Et en Israël ton nom est vénéré.
C’est à Jérusalem que le temple a été bâti,
Pour y établir un lieu de prière.
 
Tu as semé dans le cœur des hommes
Une graine de paix,
Tu as mis fin aux guerres et aux violences,
Des armes, nos pères ont forgé des outils.
 
Dieu, nous contemplons ta grandeur,
Prince de la paix tu domines,
Les hommes de guerre rendent leurs armes
Et les arrogants n’ont plus la parole :
Tu leur parles au cœur
Alors qu’ils préféraient la guerre à la paix.
 
Tu t’es levé pour sauver les petits
Et relever les humbles de la terre,
Des cieux, tu prononces une parole
Qui rend justice aux malheureux,
La terre se tait et écoute,
Les plus forts se mettent à trembler.
 
La colère et la peur n’ont plus leur place,
Le temps de la réflexion est arrivé :
Vous pouvez faire une offrande ou prier,
Tenir vos promesses envers votre Dieu,
Il est temps de changer votre cœur
Et marcher dans les pas des justes.

Et puis cette histoire tibétaine que mon ami Jean-Loup Rick m’a envoyé tellement important pour laisser la violence à l’extérieur de soi :

Un jour, dans la foule venue l’écouter, se trouvait un homme que la sainteté du Bouddha exaspérait. Il hurle des insultes à l’encontre du Bouddha, puis s’en va, fulminant de colère. Longeant les rizières du village, sa colère s’apaise, et petit à petit, un profond sentiment de honte l’envahit. Comment a-t-il pu se comporter ainsi ? Il décide de revenir au village pour demander pardon au Bouddha, devant lequel il se prosterne en suppliant le Bouddha de bien vouloir lui pardonner la violence de ses propos. Débordant de compassion, le Bouddha le relève, lui disant qu’il n’a rien à lui pardonner. Très étonné, l’homme lui rappelle les injures proférées. « Que faîtes-vous si quelqu’un vous tend un objet dont vous n’avez pas usage, ou que vous ne voulez pas ? demande le Bouddha. Eh bien, je ne le prends simplement pas, remarqua l’homme. Que fait alors le donateur ? s’enquiert le Bouddha. Ma foi, il garde son objet, répond l’homme. C’est sans doute pourquoi vous semblez souffrir des injures et grossièretés que vous avez proférées. Quant à moi, rassurez-vous, je n’ai en aucun cas été accablé. Cette violence que vous donniez, il n’y avait personne pour la prendre », répondit le Sage.