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Le temps de la cueillette

17 février 2021

J’ai beaucoup aimé la pièce d’Alice Zeniter «  Je suis une fille sans histoire  » qu’elle a écrit et interprété, seule en scène. Elle y décrit ce qui fonctionne ou non pour qu’un récit soit lu et aimé par ses lecteurs. Avec beaucoup d’humour, elle décrit à travers les textes et les auteurs ce qui fait la recette d’un bon récit. En résumé, depuis la préhistoire, un récit doit parler de chasse, de héros qui a vaincu, de l’homme dans toute sa puissance et sa virilité, il faut qu’il y ait un gagnant et un perdant. Un récit ne fonctionne pas s’il parle de cueillette, de fleurs sauvages et de baies de couleur. Les récits comme les sociétés patriarcales donnent une représentation de l’homme qui nie ou cache de manière définitive sa part féminine ou sa tendance yin pour mettre en valeur sa part de dominant, yang et puissant dans tous les aspects de sa vie. Or, comme dit le premier livre de la Bible, «  Dieu créa l’Adam à son image, homme et femme, il le créa  », oui nous sommes hommes et femmes, chasseurs et cueilleurs, sensibles et généreux, forts et faibles, sages et fous… Je n’ai rien contre les chasseurs sauf quand ils épousent l’attitude du prédateur qui prend pour tuer, plus que pour nourrir les siens. Les chasseurs ont mis moins de 50 ans à décimer la planète des espèces sauvages les plus belles de la terre. Ils s’inventent des excuses pour réguler mais c’est un vrai génocide auquel nous avons assisté, scandale étouffé comme autant de violences à travers le monde, sourdes, abjectes, insensées. L’être vivant dans son entier est mis à mal, la création tout entière en est blessée. Et si on passait au temps de la cueillette  ? J’ai eu la chance de naître sensible, j’aime les fleurs et les fruits, j’aime préparer mon verger pour l’été puis faire des confitures, j’aime offrir et recevoir des fleurs, j’aime les champignons et faire la cuisine avec les produits du terroir, j’aime l’excitation des papilles et le pétillement d’un regard. Et même, chère Alice, si une histoire de cueillette n’a jamais fait un héros, je brave les lois inscrites dans nos gènes pour dire que la cueillette, c’est simple, digne d’émerveillement et juste quelque chose de fabuleux. Il y a quelque chose de délicat, de féminin dans la main qui cueille, on ne peut cueillir sans murmurer un merci, vous l’avez remarqué  ? On cueille pour se nourrir bien, sentir du bien-être, partager et mettre en valeur un bon produit. Cueillir est un acte d’amour car il faut préparer, prendre soin, observer le moment propice, attendre le murissement et enfin sentir, goûter et s’extasier. Le fruit de la cueillette est alors offrande et le repas un immense merci, une louange à ce qui est bon. Le 21e siècle semble être le bon moment du soin de la terre, de la cueillette raisonnée et de l’intelligence du cœur, il y a tant de choses à découvrir pour peu que l’on ait les yeux ouverts  ! Les héros du siècle sont celles et ceux qui pratiquent le non-excès et considèrent les biens comme un échange plus qu’une propriété. Le chasseur n’est plus, le cueilleur lui sait que chaque prélèvement est un don de la nature et sa posture invite à rendre à la terre au centuple les dons qu’elle nous fait. Mais cueillir, c’est aussi cueillir des rêves, cueillir des paroles qui élèvent l’âme et clarifient l’esprit, s’assoir au pied d’un arbre et sentir son énergie nous traverser, et puis juste faire silence, ressentir, écouter, contempler jusqu’aux trésors cachés à l’intérieur de soi qui s’appellent pureté, bonté, paix. C’est aussi pour moi recueillir tous les minuscules bonheurs au fur à mesure qu’une heure passe, qu’une journée s’écoule, il suffit quelque fois d’un regard, d’une senteur, d’un goût sur la langue, d’une caresse du vent, d’un mot qui fait sens ou d’un nuage qui passe, de la clarté du jour ou d’une prise de conscience. Autant de petits riens à fêter dans le creux de son âme, sources de joie et de remerciements qui finissent par créer un petit fleuve de louanges.

A toi l’univers et ses merveilles,
La nature et tout ce qui vit sous le ciel,
C’est toi qui en es l’origine,
Tu inities un mouvement de création.
 
Comme les vagues façonnent le rivage,
Comme le vent sculpte le sable,
Comme la pluie féconde la terre,
Comme le soleil dessine les couleurs,
 
Tu inventes ce qui est aujourd’hui,
Nous créons ce que sera demain  ;
Qui peut comprendre la grandeur de ton œuvre  ?
Qui peut mesurer sa largeur et sa profondeur  ?
 
Qui peut prétendre connaître la terre  ?
Qui peut raconter son histoire  ?
Elle te livre peu à peu ses secrets,
Telle une mère qui éveille son enfant à la vie.
 
Dieu, père et mère, souffle éternel
Qui porte la semence et la vie,
Chaque nom qui t’est donné est trop restreint,
Aucun espace ne peut te contenir.
 
Dieu, puissance et tendresse,
Hommes et femmes reflètent ton image,
Certains te louent, d’autres te blâment,
Sur tous tu poses ton regard.

Psaumes insolites : Hymne à la création - d’après le psaume 24 (23)