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Sacré

29 mai 2023

« Sacré petit bonhomme, petit bonhomme sacré ! » disait Philippe lors du baptême de notre fils il y a plus de trente ans. Cette parole est restée imprimée en moi comme la mémoire de ce qui est et de ce qui nous a été transmis de génération en génération : le sens de la vie. Ce qui est sacré semble mystérieux ou souvent trop loin de notre quotidien, de ce qui se voit ou de ce qui touche.

« Je pense que le sacré est une sorte de cathédrale que l’on se construit personnellement, en y mettant ce que l’on veut : l’amour, la beauté, le silence…. ce qui tombe de la main de Dieu, je le ramasse. » Sonia Mabrouk, La Croix du 19 mai.

Notre monde a-t-il perdu le sens du sacré ? Nous en avons pourtant tellement besoin pour comprendre qui nous sommes et ce qui est essentiel à la vie. Sans cette dimension qu’y a-t-il à fêter ? Où trouver le bonheur ? Rien n’est sacré, tout est sacré mais j’ai la conviction que la part de mystère et de divin l’emporte finalement sur l’ombre et la violence du monde.

Dieu est sacré quand ceux qui le célèbrent ne mettent pas en opposition le corps et l’âme, la terre et le ciel, la création et la créature, l’homme et la femme, le bien et le mal. Car tout est Un.

L’humanité est sacrée quand elle célèbre la vie qui lui a été donnée dans sa diversité et qu’elle apprend de l’Histoire ce qui la rend créatrice et a pu la rendre destructrice.

L’homme est sacré quand il ne fait pas de lui-même son propre ennemi, qu’il ne se laisse pas envahir par son ego et sa soif de dominer les êtres et la nature elle-même, qu’il ne confond pas amour et égoïsme. La parole est sacrée lorsqu’elle est libre et sans jugement.

Masculin et féminin sont sacrés lorsqu’ils se parlent et s’harmonisent comme si c’était leur premier matin sur terre.

Le beau et le bon sont sacrés car ils représentent pour moi la main et le cœur du Créateur. Ils disent que la création est de tous les instants et que chacun est capable d’y contribuer. Tout geste est sacré lorsqu’il est réalisé avec une belle intention, il réveille alors le langage de l’âme.

Le silence lui aussi est sacré, il nous fait goûter le présent et la conscience de vivre. Le silence est un temps d’incarnation qui ouvre la porte de l’éternité.

Et combien les corps sont sacrés quand ils célèbrent l’amour et le don.

Chaque passage est sacré pour peu que nous sachions lui donner un sens et accueillons tout évènement comme une occasion de grandir encore.

Je me souviens des fêtes d’initiation des jeunes dans les villages reculés des pays Bedik, Mandingue ou Bassari. En quelques jours en brousse, entourés des ainés, ils ou elles apprennent à devenir autonomes pour diriger leurs propres vies, individuellement et surtout collectivement. Ils apprennent à mourir à l’enfance pour renaître adultes et responsables. Toutes les questions y sont abordées sans tabou, ce qui vient des ancêtres, les secrets et rites dont ils héritent, la sexualité, la mort, ce qui fait subsister quand une famine ou un drame arrive. Au retour de brousse, ils ne reconnaissent pas leurs propres parents, doivent tout réapprendre avec un regard nouveau. Ils commencent une nouvelle vie et le village entier entre en fête pour accueillir ces nouveaux adultes. La renaissance est alors sacrée.

Je me souviens aussi d’un échange familial pendant lequel chacun disait là où il en en était. Thomas avait dit ce jour-là : « Moi, je kiffe ma vie », belle leçon de gratitude. J’aime ces moments sacrés où les sourires échangés développent l’intelligence du cœur.

Je crois que la vie est sacrée quand elle est relation. C’est bien cela qu’il faut fêter et ritualiser, la relation entre les êtres, entre l’humanité et la nature, entre les âmes incarnées et celles qui font le lien avec le divin, la compassion avec tout être vivant et l’univers entier, avec le Créateur lui-même, relation par essence, avec qui nous sommes Un, si nous l’acceptons.

Accueille le murmure de mon coeur - Psaumes insolites - d’après le psaume 19

L’univers raconte la splendeur de Dieu,
La nature reflète l’ouvrage de ses mains,
Le temps qui passe annonce sa venue,
Le jour et la nuit parlent de ses merveilles.
 
Ni parole, ni même un son,
Les mots sont inutiles,
Une mélodie enveloppe le monde,
Un langage pour toute la terre :
Ecoute le souffle du vent,
Ressens les vibrations des arbres,
Réjouis-toi de la beauté des fleurs
Regarde le chemin du soleil !
 
Là se trouve ton Seigneur,
Il est dès ton premier souffle 
Et nourrit ton âme au-delà de toute attente,
Il éclaire le chemin où tu marches.
 
La loi de mon Dieu est pure,
Elle est source de vie,
Le contrat qu’il propose est solide,
Chacun peut le comprendre.
 
Un commandement d’amour sort de sa bouche,
Celui qui l’accueille est rempli de joie,
Une parole de vie s’inscrit pour toujours
Dans le regard des simples et des petits.
 
L’amour qu’il inspire est sans limite,
Il ne fait que grandir,
Il oriente les décisions du cœur
Et donne à chacun à la mesure de sa bonté.
 
Tu bois ses paroles comme à une source fraîche,
Elles sont plus savoureuses que le miel,
Lorsqu’elles atteignent ton cœur, tu resplendis,
Si tu les gardes, tu trouveras la joie.
 
Reçois les paroles du Livre comme un présent
Et l’amour de ton Dieu comme un sourire à la terre.

Stephan - 1er juin

Merci pour ce si beau thème et pour tes paroles qui résonnent en moi avec douceur et profondeur.

Je crois que nous avons besoin du sacré car nous avons besoin, comme tu le dis en effet, de trouver un sens à notre vie. Parfois je me demande : pour qui ? Qui en moi cherche, qui ne trouve pas le sens ? Qui a tant besoin de comprendre et de trouver ? Il y a comme une urgence en moi de retrouver ce qui me semble égaré ou perdu.

parfois le bruit intérieur cesse, l’insatiable chercheur se repose ; alors l’observation du monde, sans plus d’attente, devient non-jugeante et le sacré apparaît naturellement en tant de choses : un échange sincère avec un proche, un ciel coloré, un sourire, une marche dans la forêt. Quel paradoxe !

Cela me rappelle une phrase que j’aime beaucoup d’un Soufi du 8e S. : « Ce dont on parle ici ne peut pas être trouvé en cherchant. Mais seuls les chercheurs trouvent. »

En lisant tes lignes où tu parles de tout ce qui te fait toucher le sacré, je me dis que nous pouvons percevoir le sacré dans la diversité lorsque nous pouvons y reconnaître son essence.

Comme les multiples toiles du peintre peuvent prendre d’infinies couleurs, bien qu’elles restent chacune l’expression inséparable de leur créateur, il me semble que le vivant dont nous faisons partie est entièrement la peinture de Dieu. Rien n’a d’existence propre, tout comme chaque toile du peintre ne peut exister seule. Nous pouvons peut-être, pour comprendre le monde dans son incroyable variété et ses opposés même, nous relier à notre propre nature profonde, silencieuse, sacrée.

C’est bien alors, il me semble aussi, dans le lien que l’on retourne de la diversité, de la séparation, à l’unité. Là où la peinture se relie au peintre, là où la créature rejoint le créateur.