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Une amitié, cadeau de la vie

20 septembre 2022

La rencontre était improbable, nous vivions dans des mondes différents voire opposés, pourtant nos regards se sont croisés et nous sommes devenus amis. Tout s’est joué dans le petit square à l’arrière de l’église de St Mandé, quelques mots échangés avec ce petit groupe de jeunes d’à peine 18 ans qui se retrouvait là en fin d’après-midi autour d’une cannette de bière.

L’amitié nait souvent d’un attrait pour la différence et nous fait regarder le monde avec les yeux de l’autre. Elle nous décentre de nous-mêmes et vient taquiner nos idées, nos références et notre manière de vivre. Rencontrer l’autre dans sa différence est sans doute ce qui nous fait le plus grandir parce que nous nous découvrons bien au-delà de notre seule identité et de ce que notre éducation et la société ont fait de nous.

Jean-Rémy m’a fait découvrir le monde dans lequel il avait évolué, sans lien familial hormis des grands parents bretons qui l’avaient élevé petit. Ses copines et ses copains de la rue comptaient pour lui, Certains étaient des complices de petits coups et de gros larcins.

L’amitié devient possible lorsque nous sortons des codes et osons la rencontre sans préjugé ni jugement. Jean-Rémy m’a fait comprendre bien vite que l’amitié devait aller bien au-delà des faits aussi condamnables soient-ils. Il a été arrêté pour meurtre* à Noël 1984, il avait tout juste 18 ans. La veille de son arrestation, j’étais assis dans l’église pour préparer les célébrations de Noël, il est venu s’asseoir à côté de moi sans rien dire. Il avait sans doute juste besoin d’être là et de sentir une présence à ses côtés. Je n’ai pas posé de question. J’ai juste compris qu’il avait besoin de moi.

Pendant plus de 20 ans, nous nous sommes rencontrés dans les parloirs de prison à la Santé, Fresnes, St Maur-Châteauroux puis Caen. Au début j’y allais seul, puis quelques années après, nous y allions en famille avec Claire puis les enfants. Parloirs animés ou silencieux, découverte de l’autre dans ce qu’il est vraiment, partage de la vie quotidienne en prison avant et après la condamnation mais aussi discussions sur son enfance, les liens qui lui restaient, le sens de la vie, le travail, les projets, la sortie ….

Le mot qui m’est resté gravé de cette longue période est « l’attente », attendre quoi, qui, pourquoi ? La perpétuité a son effet sur le temps qui passe, les émotions, le travail de résilience, le lâcher-prise sur ce qui ne vaut pas la peine.

Alain, codétenu à Caen devenu un grand ami de Jean-Rémy, lui avait peint sur un de ses tee-shirts cette phrase mémorable « Pouvez-vous m’indiquer la sortie s’il vous plait ? » L’humour a toujours permis à Jean-Rémy ce petit décentrement qui aide à oublier la dureté du jour et à rêver ou espérer malgré tout. L’attente lui était insoutenable à certains moments, plus douce à d’autres lorsqu’il se savait attendu par des amis, des amours et la vie du dehors.

Loin de toute spiritualité, Jean-Rémy a réalisé un travail exceptionnel sur lui-même et son parcours, revenant sur les abandons et les souffrances de l’enfance, les faits qui ont fait de lui un criminel, accueillant chaque évènement avec analyse et une sorte de détachement, apprenant la maitrise des émotions et la bienveillance. Il me disait souvent avec ses yeux souriants : "tu sais, je travaille à ma liberté tous les jours, mais ce n’est pas facile" et il rajoutait "on va y arriver, tout est sous contrôle". Sacrée leçon de vie, prise de conscience de ce que c’est d’être libre, réflexion sur les changements qu’on souhaite opérer en soi-même...

« Un ami, c’est quelqu’un qui nous rend meilleur » disait Aristote, eh bien oui, Jean-Rémy tu m’as rendu meilleur et je t’en remercie. Ton histoire et le chemin parcouru ensemble m’ont fasciné, transformé aussi et peut-être même libéré de certains emprisonnements.

Tu es mort le 19 août dernier, seul, à Josselin. Tu laisses un grand vide et à la fois une trace indélébile dans nos existences. Je pense à Kyliann ton fils, à Anne sa maman qui a eu la patience de t’attendre, à Marie-Jeanne ton amour de jeunesse retrouvé, à Alain, Patrick tes copains, à Claire, Basile-Dordjé, Raphaëlle et Maud, ma famille tant marquée par ton parcours et ta force pour t’en sortir, au chêne qui il y a quelques années t’a laissé la vie sauve…..

Aujourd’hui tu as trouvé la sortie ! Ce n’est pas celle à laquelle on s’attendait, 58 ans, c’est un peu tôt !

Je crois que l’amitié comme l’amour survivent au-delà de la mort, car ce sont des relations d’âmes qui se sont construites sur un principe d’éternité et de confiance indestructible. Il n’ y a jamais de hasard dans les rencontres !

* Morgan Sportes a écrit le livre « L’Appât » très bien documenté sur cette affaire. Bertrand Tavernier s’en est inspiré pour réaliser un film.

La mort - d’après le psaume 83 - Psaumes insolites

Dieu, je t’en supplie, prends la parole !
Tu sembles immobile et muet
Quand la mort frappe en pleine vie
Et que nous sommes là, démunis !
 
Il y a une révolte en nous-mêmes,
Une émotion que nous ne pouvons contenir.
Pourquoi ce visage si doux s’est-il effacé
Alors que son nom est sur nos lèvres et dans nos cœurs ?
 
Nous avions scellé une alliance avec toi
Et tu nous promettais la vie, le bonheur,
Nous sommes aujourd’hui face au néant
Et nos larmes ne cessent de couler.
 
Nous attendons un signe, un réconfort,
Il nous vient de nos amis, nos proches :
Nous nous serrons les uns contre les autres
Pour être sûrs que nos cœurs battent encore !
 
Comment la mort peut-elle avoir un sens
Alors que nous aimons la vie plus que tout ?
Et toi, ami, que deviens-tu
Derrière ce visage apaisé et sans vie ?
 
Dieu, fais tourbillonner la mort
Comme une paille qui vole dans le vent,
Comme le feu qui consume les broussailles !
Si tu pouvais la faire disparaître à jamais !
 
Une tempête s’est levée en nos cœurs,
Et pourtant nous nous tournons vers toi
Pour chercher une réponse à la souffrance.
L’amour peut-il s’éteindre avec la mort ?
 
Nous voudrions nous élever, rester dignes !
Evoquons les noms de ceux qui sont partis,
Ils se mélangent avec le tien,
Toi, Dieu d’amour et d’éternité.
 
Eh bien ! Que la mort le sache :
Toi seul a pour nom « Dieu de vie »,
Que nos âmes le murmurent sur la terre,
Et que nos cœurs en soient réconfortés.